Une monographie réunit les œuvres vibrantes de Anne Pantillon
RTS 15.12.2022 — Vertigo Arts Visuels
Une première monographie est dédiée au travail de l'artiste suisse Anne Pantillon. Ce volume rassemble l'intégralité des séries et recherches développées par l'artiste depuis les années 2000 et qui se caractérisent par un geste et un processus particuliers entre réalisme et abstraction.
Plus de deux cents photographies permettent de découvrir les différentes périodes de l'œuvre d'Anne Pantillon qui, au cours de sa carrière, a donné vie à d'incessantes expérimentations esthétiques, passant du réalisme à l'abstraction et de l'abstraction au réalisme avec une déconcertante facilité.
Dans le même temps, son œuvre protéiforme peinte au doigt, au coude, au sol, au pinceau, montre toute sa dextérité: l'artiste maîtrise en effet aussi bien l’aquarelle, le dessin, l’encre, l’huile, le trempage de papier que la gravure. Sa production artistique est consacrée à l’étude de la nature sauvage et urbaine, à l’observation et à la représentation du mouvement ainsi qu’aux liens entre peinture et musique.
Le travail d'Anne Pantillon vient à l'origine d'une fascination pour la nature développée durant son enfance passée dans le Jura. Le déclic pour les arts visuels se produit toutefois qu'à partir de ses 16 ans. Anne Pantillon s'imaginait d'abord violoniste.
Une oeuvre extraite du livre "Monographie" dédié à Anne Pantillon. [5 Continents Editions]
La liberté offerte par la peinture
"La musique me traversait, faisait vibrer mon corps et m'apportait une expérience physique et émotionnelle très forte. C'était donc évident que j'allais en faire ma vie et mon métier. Parce qu'en plus je venais d'une famille de musiciens, même si il y avait aussi déjà des peintres, à l'image de mon grand-père, ma grand-mère et de mon père. Dessiner par terre dans ma chambre d'enfant ou peindre dans la nature était quelque chose de naturel, faisait partie de mon quotidien mais je ne l'imaginais pas comme mon métier", explique Anne Pantillon à la RTS.
La peinture lui permet d'accéder à une autre forme de liberté, à l'improvisation, alors que la musique classique lui imposait un cadre plus rigide. "Je dirais désormais que mes oeuvres sont d'une certaine manière des partitions", dit la plasticienne par ailleurs férue de jazz.
Anne Pantillon apprécie plus que tout le travail au sol, qui lui procure "le sentiment d'être ramassée, en contact avec soi-même et la terre, d'avoir une assise, de vivre une méditation en musiques". Pour sa récente série des "Oscillographies", Anne Pantillon a peint ainsi "aux coudes et à l’avant-bras", mobilisant toute l’énergie de son corps pour créer des œuvres d’une intense vibration. Où elle dit avoir toujours besoin de "faire danser ses pinceaux sur la toile".
Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert
Adaptation web: olhor
ARCINFO
17 nov. 2022
Anouchka Wittwer, journaliste culturelle
Anne Pantillon, plasticienne entre l’art et la matière
Un livre revient sur les 20 dernières années de carrière de l’artiste plasticienne originaire de La Chaux-de-Fonds. Une œuvre plurielle, marquée par une recherche constante sur la matière.
L’idée a germé en 2017 dans l’esprit d’Anne Pantillon. Au départ, cela ne devait porter que sur un pan restreint de son travail. C’était sans compter sa rencontre avec Nathalie Chaix, directrice du Musée Jenisch de Vevey, grande admiratrice de son œuvre. «Elle est à l’origine de l’élan» qui a permis à l’idée de base de muer en vaste projet, affirme la plasticienne chaux-de-fonnière.
C’est ainsi que l’on tient entre nos mains une monographie de près de 200 pages, retraçant 20 ans de carrière et de recherches artistiques.
Un objet d’art en lui-même, enrichi de textes écrits par Nathalie Chaix, Corinne Currat, conser-vatrice adjointe de la fondation de l’Hermitage, l’écrivain Pierre Fankhauser et le conservateur du Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds, David Lemaire.
Cycles artistiques
C’est à l’intérieur de ce même musée que l’on a pris rendez-vous avec Anne Pantillon, qui vernissait l’ouvrage mardi 15 novembre. La Chaux-de-Fonds, son berceau, là où tout commence. «Si tout mon travail est inspiré par la pierre et l’eau, ce n’est bien sûr pas par hasard. J’ai grandi avec les paysages jurassiens et chaux-de-fonniers», analyse l’artiste.
On le voit bien vite, les éléments naturels sont au cœur de sa démarche. Férocement attachée à raconter la matière, à la distordre et éprouver l’élasticité de son champ des possibles, ses tableaux oscillent constamment entre le réalisme et le figuratif.
Les laves torrentielles, les coulées de boue, les éboulements… Il y a derrière ces événements cette idée de temps qui passe et qui érode la matière. Et face à cela, l’humain impuissant.
ANNE PANTILLON, ARTISTE PLASTICIENNE
«Basalte», premier cycle que nous présente la monographie, est le fruit d’une découverte faite en Ar-dèche, celle des orgues basaltiques, coulées de roches éruptives le plus souvent noires qui se super-posent. «J’ai eu un choc devant ces orgues. Il fallait absolument que j’en fasse quelque chose, et j’ai su directement que j’allais utiliser du papier pour recréer cette vision», explique Anne Pantillon.
Forces de la nature
Puis viennent les reproductions de lits de rivière. Ses recherches matérielles ne connaissent aucune limite: elle n’hésite pas inonder son atelier lausannois en y déversant des litres d’eau et d’encre de Chine sur de grands papiers posés à même le sol. Ce souci de travailler la matière pour en extraire tout le potentiel ne la quitte jamais.
La nature et ses forces destructrices la fascinent. «Les laves torrentielles, les coulées de boue, les éboulements… Il y a derrière ces événements cette idée de temps qui passe et qui érode la matière. Et face à cela, l’humain impuissant».
La nature, c’est aussi à travers sa musique qu’elle aime la retranscrire. Pour «Oscillography», série qu’elle a entamée en 2014, la plasticienne recherche l’état de transe à travers des sons ou des mor-ceaux de musique. Le vent, en particulier, la transporte. «Ecouter les bruits d’une tempête en mon-tagne pendant plusieurs heures, c’est quelque chose de puissant. Vous finissez par avoir froid, vous tremblez. Ça a un effet profond sur notre physiologie».
Bruits naturels, mais aussi tirs de mitraillettes, ambiances de rues ou métiers à tisser, elle se nourrit de sons pour ensuite apposer sur le papier – toujours au sol – ce qu’elle appelle «des empreintes pul-sées». Le pinceau, son outil, devient encombrant. Gênant, même. «Instantanément, je les ai aban-donnés. J’avais besoin de sentir la matière, de me ‘salir’. Et je me suis rendu compte que mes doigts et mes avant-bras avaient leur écriture propre».
Le Covid a eu raison, pour l’instant, de cette démarche artistique entamée pour «Oscillography». «Je n’y voyais plus de sens. En fait, j’ai fait ce que beaucoup de gens ont fait pendant le semi-confi-nement: je regardais par la fenêtre». Un nouveau cycle prend vie, un «retour à la figuration, mais accidentel».
Anne Pantillon peint ce qu’elle voit ou fantasme à travers ses vitres. Travaille la notion de lumière. «Et le ciel, surtout. Je crois que ce qui manque à nos sociétés en dépression aujourd’hui, c’est de pouvoir croire à nouveau en quelque chose, avoir un espoir.»
Peindre des cieux, c’est la façon qu’a Anne Pantillon de porter un message d’espoir et d’humanité.